Cet article est la retranscription (par mes soins) du podcast (en russe) de Maxime Spiridonov. Les parties du podcast trop éloignées du sujet ne sont pas retranscrites ici, les détails entre […] sont de moi.
Les questions sont posées par Maxime Spiridonov, l'auteur du podcast.
Les réponses sont de Mark Zavadsky, directeur du développement du business digital de Sberbank [qui a depuis changé de poste en Juillet 2019].
Sberbank est un acteur clé du secteur bancaire russe et une des plus grandes banques dans le monde. Sberbank ce n'est pas seulement des applications mobiles installées sur tous les téléphones, mais c'est aussi de la télécommunication, du e-commerce, des assurances, de la télémédecine. Sberbank est en train de construire son propre écosystème et nous allons parler avec l'un de ses représentants : Marc Zavedsky directeur du développement du business digital de Sberbank depuis juillet 2018.
Q. Sberbank est la plus grande banque du pays, voire même un monopole avec 80 % - 90% du marché
R. Tout dépend du segment ou du type de produits, je dirais plutôt 40 - 60 %
Q. Un des objectifs clés de Sberbank, défendu par son leader Herman Gref, c'est de construire un écosystème qui englobe tout les aspects personnels et professionnels de la vie des clients avec tout un système de services, et toi tu es un des architectes de cet écosystème ?
R. C’est exactement la description de mon rôle
Q. Décris-moi s'il te plaît la vision de cet écosystème
R. La vision est de passer d'une position d’intermédiaire à une position de partenaire, conseiller et fournisseur de services finaux. Tu as raison de dire que Sberbank est une grosse banque, nous avons des dizaines de millions de clients particuliers [120 millions] et des millions de clients personnes morales. Ils interagissent tous avec Sberbank tous les jours, mais ne remarquent pas ces interactions. Ils paient avec nos cartes, ils vont dans nos agences, mais pour eux la banque c'est un intermédiaire, c'est un moyen pour obtenir tel ou tel service, professionnel ou personnel. C'est un moyen, et nous, nous voulons devenir une finalité : nous ne voulons pas être perçus par nos clients comme un moyen pour obtenir quelque chose, mais comme une source d'épanouissement et de bonheur pour nos clients.
Q. Quelles seront ces sources d'épanouissement et de bonheur demain ?
R. Ce ne serait pas correct de parler déjà de ce qu’on va faire demain, je peux vous raconter ce qu'on fait aujourd'hui. Par exemple pour les particuliers, nous avons investi dans le e-commerce (ex: Yandex Market), nous nous orientons donc vers le e-commerce et la consommation de biens physiques.
Vous allez construire encore un mega monstre sur le marché du e-commerce russe pour faire face à mail.ru, aliexpress.com ou ozon.ru ?
Historiquement nous étions là bien avant eux, donc c’est plutôt eux qui " nous font face ". Et dire "encore un" ce ne serait pas juste, car pour le moment tous les acteurs sont petits. Ils sont gros par rapport à d’autres qui sont de très petits acteurs, mais la part de e-commerce en Russie est encore très faible, selon différentes estimations elle serait entre 4 et 6%, voire 3 %.
Donc la première sphère d'influence c'est le e-commerce, et après ?
La deuxième sphère c’est l’ e-santé avec l'entreprise docdoc.ru [équivalent de doctolib en France, ils ont 53% du marché en Russie, c’est une entreprise rachetée par Sberbank]. Cette industrie est vraiment à son commencement, le marché est petit, mais nous pensons que c'est un besoin essentiel. Dans tous les cas les gens vont continuer à se soigner, quelque soient les circonstances. C’est ce dont les hommes ont besoin, donc cette activité va se développer et va se digitaliser. Ce marché est encore petit, ce qui est plutôt bien, il y a des opportunités de construire un acteur de taille. Docdoc est encore petit, mais sur le marché de Moscou et Saint-Pétersbourg c'est un leader de prise de rendez vous chez les médecins.
Vous pensez développer la téléconsultation médicale au même niveau que le e-commerce ?
La taille du marché potentiel est différente, mais oui nous estimons que c'est une direction stratégique, car c'est un besoin de base que nous devons donc couvrir si nous voulons devenir un écosystème de premier choix pour nos clients.
E-commerce, e-santé et après ?
La suite c'est plus compliqué, car nous n'avons pas communiqué encore sur nos plans futurs. Je peux juste vous dire quelle est notre vision sur nos priorités demain. Nous les déterminons en fonction de deux facteurs : le premier c’est la capacité du marché et ce que les clients seraient prêts à payer pour le service sur ces nouveaux canaux, et le deuxième facteur c'est la fréquence d’interaction, nous voulons que ça soit un besoin vital pour que le client interagisse souvent avec le fournisseur de ce service.
Il semble que dans les écosystèmes se dessinent deux gros acteurs c'est le consortium sberbank-yandex [équivalent de Google en Russie] et la construction d'un écosystème autour des services digitaux/e-commerce comme mail.ru et Megafon.
Il faut comprendre ce que c'est un écosystème et comment il se distingue d'un groupement d'entreprises et d’une holding. L'écosystème est un groupe de services qui se forment autour d'un client et qui permettent de forger une connaissance commune autour de ce client. L'écosystème est devenu un thème à la mode, notamment grâce à Sberbank qui a été un des premiers à démocratiser ce concept en Russie, car sur le marché mondial cela fait longtemps qu'il est utilisé. En Russie c'est une hype, un effet de mode, avec lequel on peut obtenir des budgets, qui permet de défendre des projets, qui sans ça ne passeraient pas. Si on se base sur la capacité du marché, sur la population en Russie, il y a de la place pour 2-3, maximum 4 gros écosystèmes. Au-delà il n'y aura pas assez de marché.
Est ce que ces acteurs sont déjà identifiés, parmi lesquels il en restera qu'un ?
Tout d’abord, il ne doit pas en rester un, il n y' aura pas un seul écosystème, les gens ont besoin de choix. La concurrence, c'est bien, et ça permet de se développer, c'est dans l'intérêt du client. Il y a les entreprises qui affichent leurs ambitions, mais il est très difficile de dire qui va rester à la fin parmi elles.
Mais Yandex/Sberbank et mail.ru tu es d'accord que c'est deux écosystèmes qui comptent ?
Je suis d'accord qu'aujourd'hui ce sont les entreprises avec le plus grand champ de services et avec la plus grande envie de dépenser leurs ressources pour leur développement.
Et je suppose celles qui ont le plus de potentiel (données, moyens financiers, ressources) ?
Oui, le plus gros potentiel. Surtout sur le sujet des données. Il y a une idée qui se développe aujourd’hui qui dit que les données c'est le nouveau pétrole. Les données permettent d'être plus efficaces. Plus la concurrence est forte, plus l'efficacité de la communication avec le client devient importante. Le but de chaque écosystème est de maximiser le temps que le client passe à l'intérieur de celui-ci. Pour le faire, il faut en permanence proposer au client ce dont il a besoin ou alors le convaincre efficacement que il a besoin précisément de ça. Tout le monde veut posséder le client, sauf que pour certaines entreprises l'ambition est de le posséder sur l'ensemble ou sur la majorité des services et d'autres se focalisent sur un seul segment ou un seul besoin, mais essaient de l'adresser bien de bout en bout.
Ceux qui vont en tirer le plus de bénéfices sont ceux qui construisent des écosystèmes globaux en couvrant le maximum de besoins, et de préférence des besoins de première nécessite : la santé, l’alimentation...
Oui, tout à fait. Les écosystèmes de niche peuvent rentrer dans la composition d'un écosystème global ou s'ils ont une expertise importante et rare, ils peuvent proposer leurs services à plusieurs gros écosystèmes à la fois.
Le futur utopique c’est donc 3-4 gros écosystèmes qui absorbent tout et qui cohabitent avec des écosystèmes plus petits locaux.
Oui et ces écosystèmes de niche peuvent être une partie d'un des gros écosystèmes et peuvent aussi travailler avec tous les écosystèmes à la fois.
Cela ne t'inquiète pas cet avenir d'économie totalitaire ?
S'il y a de la concurrence, il n’ y a pas de totalitarisme. J'ai dit au début qu'il ne faut pas un écosystème, qu'il en faut au moins deux et que le client doit pouvoir choisir. Ça sera plus pratique pour tout le monde, ça rendra la vie plus facile et les gens seront plus heureux.
Mais vous jouez pour votre équipe, donc ce serait plus pratique qu'il ne reste qu'un seul écosystème disons le vôtre et vos concurrents aimeraient que ça soit le leur.
Tout le monde vise à maximiser son business, mais je suis pour la concurrence. Je pense que pour nous ça sera plus intéressant de travailler et ça sera mieux pour nos clients si nous continuons de nous développer sur un marché concurrentiel et pas de monopole.
Donc la concurrence va vous stimuler ?
Bien sur, et nous, nous allons aussi stimuler la concurrence.
Les étapes concrètes pour y arriver c'est le développement et la recherche de startups ?
C'est une des composantes. Nous avons deux types d’investissements.
Le premier c'est les investissements stratégiques, quand nous achetons tout de suite une grande partie de l'entreprise (petite ou grande entreprise) mais nous investissons tout de suite beaucoup, nous nous mettons au comité de direction, nous développons l'entreprise et nous intégrons cette entreprise dans la construction de notre écosystème dès le début. Comme docdoc, yandex.market, evotor, foodplex* (avec rambler) avec lequel notre objectif est de devenir leader sur le marché de la nourriture préparée, on a de grandes ambitions.
Le deuxième type est du venture capital : nous ne sommes pas sûrs que nous voulons aller sur le marché mais nous voyons un potentiel et nous sommes aussi intéressés par le développement d'entreprises innovantes en Russie. Dans ce cas nous fonctionnons plutôt sur un modèle de VC ou d'accélération. Nous avons terminé la partie russe de l’accélération de notre collaboration avec 500startups, un fond américain en Russie. Il y a 7 équipes qui vont partir aux États-Unis pour la partie américaine de l'accélération. Nous avons eu 800 candidatures et 30 ont été retenues. Nous avons reçu des propositions très variées. Nous verrons les résultats que ça va donner financièrement, mais c’est une aventure très intéressante.
A propos du e-commerce, c’est donc une composante de l’écosystème que Sberbank est en train de construire, dons vous avez Yandex.market, beru, qu’est ce qui reste à construire ?
Nous avons 3 streams principaux :
- Yandex market [un comparateur], avec des perspectives de développement, comme l’enrichissement avec les produits FMCG ou un comparateur de prix offline, pour donner au client la possibilité de faire un choix en toute connaissance de cause de tel ou tel produit ou service en permettant de comparer tout au sein d’une même plateforme.
- Beru.ru, une marketplace de produits avec leur propre logistique. Un gros potentiel de croissance, notamment grâce aux ressources de Yandex et Sberbank.
- Bringly.ru : un crossboarder, un équivalent d’aliexpress, mais avec une offre plus large avec des produits qui viennent de Turquie par exemple, d’Europe et d’autre pays en plus des produits chinois. Nous en sommes à la version beta.
Pourquoi avoir rejoint Sberbank ?
J'ai rejoins Sberbank, car j’ai été convaincu par le fait que Sberbank arrivera à construire en Russie un écosystème plus rapidement et mieux qu'un acteur international. Si on regarde en Chine par exemple, les écosystèmes puissants sont des écosystèmes locaux, les acteurs internationaux ont plus de mal. Même s’ils ont une excellente expérience dans leur pays, Amazon, Google, Facebook, Walmart ont tous essayé en Chine, mais ont tous fini par s'associer avec des acteurs locaux et des associations où ils sont souvent minoritaires. Et je crois en Sberbank, je crois qu’il y a vraiment des ambitions et une volonté de le faire. Et cela fait 9 mois que je travaille ici et je ne suis pas déçu, cela confirme ce que je pensais. Il y a des grandes ambitions, un travail très intéressant, beaucoup de projets intéressants et le sentiment qu’on va y arriver.
Pour aller plus loin :
Conférences et formations :
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